La découverte du bouddhisme en occident a permis d’ouvrir des portes sur des pratiques telles que la méditation, le yoga, la notion de bonheur, et aussi la philosophie qui permet de re-questionner la nôtre. On se rend alors compte qu’il existe de nombreux points communs entre orient et occident, notamment en terme de valeur humaine. Le fil rouge dans tout cela est la conscience de soi, de la portée et la responsabilité de nos actes, la suppression des souffrances, etc. Croyant que l’ailleurs répondra mieux à nos questions, on en oublie que nous avons eu aussi des sages, des éveillés peut-être.

Socrate serait-il un bouddha grec?

Notre ailleurs est ici et là en même temps, trouvant le meilleur équilibre entre nos racines et nos projections.

 

Je me rappelle vers mes 10 ans m’être posé une question très précise : qui suis-je? C’est vrai ça: qui est-on vraiment? 

Vers 13-14 ans, j’ai découvert le bouddhisme  d’abords dans les livres de mon père. C’est à 20 ans que j’ai poussé la porte d’un premier centre bouddhiste, voulant découvrir la pratique, celle qui nous mène vers soi. Mes premiers pas se firent dans un temple tibétain pendant quelques années, puis dans un dojo zen pendant 10 ans. Tout cela ponctué de plusieurs voyages en Asie. Toujours en ayant cette soif de découvrir qui je suis et de comment supprimer les souffrances. Ce qui me chipotait le plus, était l’exotisme et la volonté de s’extraire de la réalité que certains semblaient chercher, comme une fuite des souffrances et des démons en chacun de nous (sans que cela soit une critique).

Il y a peu de temps, j’ai suivi les enseignements donnés par Trinlay Rinpoche venu à l’institut bouddhiste Yeunten Ling de Huy pour commenter et expliciter le livre de Shantideva, « Bodhicaryavatara, La Marche vers l’Éveil ».

Il est notamment expliqué dans ce livre que chaque pratiquant, avant de toucher à l’éveil, doit suivre un chemin préparatoire. Une métaphore est qu’avant de teindre un linge, il est nécessaire de le laver des taches qu’il porte. 

Ces préparations viennent pour développer la sincérité des pratiques, en développant l’attitude juste sans tomber dans des travers dévotionnels.

Shantideva explique que par les pratiques préparatoires, nous devenons de plus en plus conscient de ce qui nous entoure. Nous prenons conscience de nos croyances, nos fictions intérieures, nos illusions. 

Par exemple, la notion de propriété est une fiction: cette maison m’appartient mais en réalité elle appartient à la banque. Dans notre jardin, nous pouvons dire: « ces fleurs sont à moi » et les abeilles aussi s’en sont emparés. 

Tout est relatif. 

Il est ainsi possible de prendre de la hauteur sur soi et de voir que le Je, l’ego, force et se pousse à certains moment. Prenant cette hauteur, faisant la part entre “Je” et “soi” (ce qui est au profond de chacun, par delà et par dedans l’ego), on voit la façon dont on court parfois comme des poulets sans tête ou que je est grâce aux autres.

 Au fur et à mesure, nous devenons plus conscient, nous voyons plus clair ce qui se vit en nous et autour de nous.

On constate que l’attachement est très souvent confondu avec l’appréciation: j’aime cela, j’en ai encore plus envie. Une chose appréciée est sujette à de l’attachement. Pourtant, le non-attachement n’est pas du désintérêt, du rejet ou de l’hostilité. On peut apprécier sans chercher à répéter ou vouloir encore et plus.

Nous commençons à différencier ainsi amour et désir. Le désir est une forme d’attachement. L’autre n’est pas une possession. Si nous aimons vraiment, l’amour porté accompagne la liberté partagée.

La richesse, la notoriété peuvent être les résultats de nos actions mais rechercher ou forcer richesse et notoriété peut être problématique.

Et ainsi de suite. 

Ces pratiques préparatoires mettent en évidence l’ego et les fictions qu’il raconte et nous sortons petit-à-petit des illusions qu’il nous impose. 

En écoutant Trinlay Rinpoche, un lien m’apparut avec l’Hannya Shingyo, le sutra du cœur qui est, je pense, un bel exemple de la voie du milieu. J’aime cette voie du milieu qui me donne l’image d’un équilibriste marchant sur son fil, cherchant l’équilibre le plus juste entre les extrêmes qu’il tient dans ses mains, sans chuter ni dans l’un ni dans l’autre. Pour moi, toute pratique spirituelle doit ou devrait s’insérer au mieux dans la société et notre vie quotidienne. Une pratique spirituelle ne devrait pas rechercher l’extraction de notre société, au contraire, elle devrait nous amener à y plonger plus pleinement et mieux.

Le sutra du cœur 

 

Au Japon, le sutra du coeur (c’est l’Hannya shingyo recité dans le zen) a été adopté comme un texte incontournable . Le coeur ne fait pas référence ni à notre pompe sanguine ni à notre centre émotionnel. L’idée du cœur fait référence à l’essence, ce qui au plus profond et aux ressentis, la conscience que nous pouvons en avoir et ainsi percevoir plus clairement la réalité. Parfois, ce sutra est présenté comme le sutra de l’essence de la sagesse. Il relate une discussion entre le Bouddha et un de ses disciple proche. Sans entrer dans tout le texte, voici un extrait exemplatif :

 […] les formes ne sont pas différentes du vide, le vide n’est pas différent des formes. Les formes sont vides, le vide est formes. Il en est de même des perceptions, des constructions mentales et des consciences. Tous ces éléments ayant l’aspect du vide, ils n’apparaissent, ni ne disparaissent, ils ne ni souillés ni purs, ils ne croissent ni ne décroissent. C’est ainsi que dans le vide, il n’y a pas de formes, ni de sensations, de perceptions, de constructions et de constructions. […] (1)

Explicitons un rien:

 

Le vide est une notion relative: une tasse peut être vide de thé et pleine d’air. 

Par « vide », nous ne pouvons pas voir « l’absence de » mais « le potentiel non encore exprimé » et « le vide de toutes relations interdépendantes ». Pour donner un exemple clair de l’interdépendance, on peut prendre une table. Cette table est un concept: on a pris un plateau et quatre pieds, cela a été appelé « table ». Cette table a dû être fabriquée par un menuisier. Le bois qu’il a choisi vient d’un arbre qui a grandi grâce a la qualité du sol et des conditions climatiques, etc. 

Faisant le lien avec le sutra du cœur, quand on prend conscience de nos croyances, on peut se rendre compte des interconnexions de tous ce que nous portons en nous, lié à nos éducations, nos expériences. Nous alors voyons qu’il n’y a ni croyance, ni non-croyance, ni illusion ni non-illusion. Il y a un chemin qui, s’il est suivi avec sincérité, sera de plus en plus limpide. Il n’y a rien à atteindre, rien à attendre, ni rien à chercher. Juste retrouver ce qui était déjà là. 

L’illusion Bouddha

 

Nos société ont placé le bouddha comme un être supranaturel, un homme déifié. Nietzsche a développé une notion similaire avec le surhomme. 

Il me semble important de se rappeler le contexte historique et les racines du bouddha Siddharta Gautama:  il est né homme et prince. Il a grandi dans l’abondance avec une éducation poussée. Il s’est certes dépouillé mais jamais il ne s’est extrait des réalités sociétales qui l’entouraient (il a voulu voir au-delà de ses murs et embrasser, expérimenter les autres réalités. Il s’est parfois mis en retrait du monde et des hommes, toujours pour mieux y replonger ensuite. Après avoir testé l’ascétisme, il a même conseillé la conscience et la tempérance.

Pour moi, le bouddhisme ne se pratique pas dans un temple, ni dans un dojo zen. Ces lieux sont les lieux d’enseignement et de rappel de ses valeurs. Les enseignements sont à mettre en pratique dans le monde surtout en dehors de lieux protégés et particuliers que sont les temples et les dojo. 

Pour moi, le pire et, peut-être, le meilleur lieu de pratique est la voiture qui nous coupe des autres. Chacun dans sa voiture, courant vers son but mais ensemble sur la route partagée. Comme dans la vie.

L’essence de la pratique est dans l’attitude mental, la disposition d’esprit.

Il faut alors pratiquer sans relâche avec constance et légèreté, avec force et détachement, pour le plaisir de l’exercice sans attente.

L’éveil se produit petit-à-petit. Ce n’est pas une illumination explosive, c’est un raffinements, comme on polit une pierre pour la faire briller. L’éveil à la réalité ne change pas l’homme dans sa forme mais le fait progresser dans sa fonction.

« L’homme obtient l’éveil comme la lune demeure au milieu de l’eau. La lune n’est pas mouillée, l’eau n’est pas brisée. Aussi large et grande que soit sa clarté, elle demeure dans une toute petite nappe d’eau. La lune entière et le ciel entier demeurent aussi bien dans la rosée d’u brin d’herbe que dans une goutte d’eau. Que l’éveil ne brise pas l’homme est comme la lune qui ne perce pas l’eau. Que l’homme n’entrave pas l’éveil est comme la goutte de rosée qui n’entrave pas la lune au ciel. » (2)

 

(1) extrait tiré et traduit de l’Hannya Shingyo

(2) citation tirée du Genjô-kôan tiré du livre « Comme la lune au milieu de l’eau » de Yoko Orimo

 

 

Image de couverture réalisée par l’artiste numérique:   Bibheist Creative Art