Depuis quelques temps, dans le milieu du shiatsu, nous voyons « fleurir » une offre de plus en plus large, parfois presque exotique, sur des techniques pour guérir les traumas.
Depuis que je pratique le shiatsu, j’ai très régulièrement des personnes portant en elles des expériences traumatisantes.
Je ne me permettrai pas de classifier les traumas. Chaque personne ressent son vécu à travers ses propres filtres.
Je ne commenterai non plus aucune proposition de stage ou de formation. Si chaque protagoniste enseigne avec cœur et sincérité, il y a certainement un partage d’expérience éclairant. Chaque enseignant se base sur son propre vécu pour soutenir sa pratique. On ne devient pas soignant ou thérapeute par hasard.
Pour ma part, outre un vécu familial « sportif » quand j’étais adolescent, notamment la mort de ma mère et la découverte de son corps, j’ai aussi accompagné les commémorations du 10ème anniversaire du génocide au Rwanda en 2004. Ce ne sont pas franchement des situations simples mais, le temps de la digestion fait, l’expérience devient lumière.
La question qui m’a toujours taraudé: peut-on guérir un trauma? Qu’entend-on par “guérir un trauma”?
Un processus digestif
Toutes situations de vie est comme un principe de digestion: cela doit être machouillé, déglutit, maturé dans l’estomac, ingéré dans les intestins avant d’évacuer ce qui n’est pas utile.
Les situations de vie suivent le même principe.
On la mâchouille, on la rumine. Ça tourne dans sa tête. Peut-être a-t-on le besoin de mâchouiller un chewing-gum pour stimuler le processus ou le calmer.

On avale ou pas. Ça peut nous rester en travers de la gorge ou tomber sur l’estomac. On peut avoir des crampes intestinales, être constipé si on arrive pas à lâcher ou avoir de la diarrhée après un gros stress.
Bref, notre corps parle.
Si nous étions totalement connectés à notre corps, nous aurions une réaction viscérale pour évacuer le stress. Mais nous, humains (et surtout dans nos sociétés occidentales avec les éducations que nous avons), nous repensons chaque situation dans toutes les possibilités qu’elles comportent. Nous réécrivons l’histoire, nous réinventons les dialogues, les réactions puis revenons au point zéro: rien n’a changé. Nous retenons nos réactions viscérales pour ne pas choquer, ne pas froisser, ne pas attirer l’attention, etc.
Ce processus de stress nous est commun à tous. Quand cela arrive, nous avons besoin de bouger ou avoir l’impression de bouger, en tout cas, faire autre chose, se donner l’impression de ne plus y penser. Mais le non-conscient fait son travail: il nous invite à oser digérer, sinon il le stocke dans un recoin dans l’attente du bon moment.
C’est un processus complet qui fait appel au conscient (le mental), au non conscient et au spirituel. Oser regarder ses propres traumas invite à plonger au fond de soi, cela demande de la patience et beaucoup de courage. C’est pour cela qu’il est moins question de technique que de technicien.
Se faire aider et trouver la bonne personne est important. Cette bonne personne est la personne que l’on sentira juste pour nous accompagner sur l’étape où l’on est. Peut-être sera-t-elle différente à une autre étape.Au début, nous aurons peut-être besoin d’un accompagnement plus psychologique puis, petit-à-petit, un accompagnement de plus en plus corporel.
Il est question de processus. Le temps joue son rôle. En fonction de ce que chacun aura vécu et de comment il l’aura vécu, un temps de digestion sera nécessaire.
C’est pour cela que la patience est de mise. Nous ne sommes plus sur un temps horlogique ou calendrier. En tant que thérapeute, je ne peux pas déterminer un nombre de séances précis. Tout cela dépend de chacun et de sa faculté à digérer ce qui s’est passé.
Ce temps, ce processus en le mâchouillant, le mastiquant lui permet de transformer le trauma en drama.
C’est justement là que je veux placer un jalon:
Trauma ou drama?

Depuis plus de 20 ans, j’accompagne des personnes étiquetées « polytraumatisées », que ce soit par violences physiques, psychologiques ou en état post-traumatique. Le shiatsu a lui seul peut être d’une aide très précieuse. Il peut même se suffir à lui-même.
Dans ce genre de moment, ce n’est pas tant la technique qui compte que l’expérience et la qualité du « technicien ».
Le trauma est la façon dont on garde l’expérience « en haut », on n’ose pas la digérer.
C’est pour cela qu’il faut du courage. Oser digérer, cela donne l’impression de rouvrir ce qu’on a mis au placard. Mais ce processus ne vient pas déterrer nos cadavres, c’est plutôt comme sortir les poubelles.
Le trauma devient lentement drama, c’est-à-dire une expérience qui vient nourrir notre chemin de vie ( certes, parfois un peu amèrement).
«Le secret du changement est de concentrer toute votre énergie, non pas à lutter contre le passé, mais à construire l’avenir.»
(Socrate)
Processus traumatique
Il est comme quelque chose qui ronge de l’intérieur, une braise qui brûle au-dedans, une aiguille qui nous transperce l’âme et le corps. On a tellement eu mal que l’on a peur de souffrir de nouveau en osant regarder ce qui nous a fait souffrir pour le laisser se guérir.
J’ai l’image de Karaba la sorcière dans le dessin animé de Michel Ocelot « Kirikou et la sorcière ». Karaba est une méchante sorcière qui traumatise tout un village. Un jour, le jeune Kirikou se rend compte que Karaba a une épine plantée dans son dos. Il se dit que, peut-être, cela la fait-elle souffrir. Il décide d’essayer de lui ôter. Il s’approche très prudemment car elle a placé autour d’elle toute une série de protection. Il arrive à l’approcher, lui saute sur le dos et empoigne l’épine. La sorcière hurle de douleur et de rage. Kirikou parvient à enlever l’épine et Karaba devient une femme magnifique, gentille et paisible.

Quelle belle allégorie de nos fonctionnements !
Quand un événement nous a fait souffrir, par peur de souffrir de nouveau, nous mettons en place des stratégies de protection, pour la plupart du temps, non conscientes.
La douleur dans beaucoup de cas est une croyance: nos processus de protection nous font croire que la souffrance pourra se répéter. Pourtant, la vie nous confronte à des situations relativement similaires. Nous, nous fuyons autant que possible.
D’un autre côté, si nous parvenons à entrevoir le mouvement intérieur, si nous rassemblons le courage nécessaire pour regarder ce qui gît en nous, nous amorçons le processus de guérison. C’est bien d’un processus dont il s’agit. C’est un mouvement lent de contractions/expansions, comme le péristaltisme, qui transforme le trauma (ce qui brûle à l’intérieur) en drama (une cicatrice parfois sensible).
La guérison
Je reviens sur les questions préalablement posées dans l’introduction:
Peut-on guérir un trauma?
Qu’est-ce que cette guérison?
Comment faire?

Un thérapeute n’est (ou naît) que par les expériences qu’il traverse et dont il se nourrit.
Je me suis longtemps questionné sur “les bonnes ou les mauvaises expériences”. Il n’y a rien de bon ni de mauvais. Il y a des expériences plus agréables que d’autres, certes, mais toutes apportent des expériences de vie.
Je ne pense pas qu’un thérapeute puisse guérir les traumas. Il peut y apporter du soin, aider la personne à sortir la tête hors de l’eau, il apporte une bouffée d’oxygène, un autre éclairage et surtout de la détente tant physique que psychique.
Le thérapeute est un facilitateur, un inducteur de mouvement et toujours hors du vécu direct (attention aux projections personnelles, nous ne connaîtrons jamais le vécu profond de quelqu’un d’autre).
Pour ma part, la guérison peut être vue comme un processus d’acceptation plutôt que comme une évacuation du problème. Ce qui a été est. Ce processus d’acceptation est multiple. Il passe par le mental: arrêter de refaire l’histoire, les dialogues, etc.
Accepter factuellement les choses comme elles sont. Il passe aussi par le corporel: détendre et lâcher les tensions qui ont été créés. Ce relâchement des tensions peut passer par une évacuation des émotions, comme une grosse pluie d’orage.
Guérir appartient à la personne qui a traversé directement l’événement. C’est accepter ce qui s’est passé. Comme Kirikou et Karaba, il faut du courage pour oser ôter l’épine qui nous ronge pour laisser la plaie se cicatriser. Un premier pas, dans l’acceptation, est oser en parler pour trouver la/les bonnes personnes qui pourront apporter du soin pour avancer sur le chemin de la guérison.
Lire aussi: Faut-il guérir de tout?
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