Les 4 formes de diagnostic: boshin, bunshin, monshin et setsushin sont un pilier de notre pratique.
Lorsque j’étais à la Yoseido shiatsu academy, j’entendais souvent Kawada sensei aborder de nombreux thèmes qui composaient la pensée du Japon et l’esprit de notre pratique: le bouddhisme, le zen, un peu de shinto et la lecture qu’il faisait du Yi king et du Suwen.
Lorsqu’il parlait de l’approche thérapeutique du shiatsu, il insistait entre autres sur les 4 phases du diagnostic et que tout est lié.
Il m’a fallu me plonger dans la pratique pendant une dizaine d’années pour me rendre compte de la justesse et de la pertinence de l’approche.
Ces 4 moments ne sont pas uniquement des étapes pour savoir quelle est la technique que nous allons appliquer. Il y a bien plus. D’abord, l’idée de la juste distance, ma’aï, s’ajuster de façon la plus juste au moment. Ce n’est pas juste une distance physique, c’est tout un état d’esprit à trouver et développer. Cette juste distance, nous la travaillons dans certains arts martiaux. Notamment en aïkido, où l’on cherche le placement juste en fonction du mouvement et d’une éventuelle arme.
Ces 4 moments du diagnostic, même s’ils sont décortiqués, pourraient n’être qu’un mouvement qui va de l’accueil au toucher du shiatsu. Nous y retrouvons certaines bases du zen et de la présence totale au moment, ici et maintenant.
Dans ce texte, j’avais envie de changer de point de vue et ne pas me laisser enfermer par une rigueur et une rigidité mentale qui ne ferait que rendre la pratique répétitive et monotone.
Je fais un parallèle avec la nature, notre nature fractale (lire Vaisseaux Merveilleux et Nature fractale) et avec le cycle saisonnier. Bien sûr, ce n’est qu’une invitation à réfléchir plus large, ce n’est pas une règle, pas un dogme ni une doctrine.
Lorsque nous sommes attentifs au cycle du temps et des saisons, c’est comme une respiration qui s’ouvre, se développe et se referme. C’est comme une danse où les partenaires se rapprochent, se tournent autour et s’éloignent. C’est comme en aïkido où les aikidokas s’observent, s’avancent, fusionnent et se séparent. Ce n’est pas pour rien que les Anciens nous ont laissé des invitation à observer ce qui nous entoure et qui nous dépasse.
Quand j’accueille une personne pour un shiatsu, c’est ce même rythme aussi qui s’anime, qui nous anime.
L’accueil pourrait être associé au printemps. Les liens sont en formations, ils bourgeonnent. La vie est prête à s’exprimer mais reste encore discrète.
La discussion préalable, la célèbre anamnèse serait un été. Le cœur s’ouvre, la discussion s’installe. C’est une balade dans un pré en plein soleil, c’est foisonnant et bourdonnant.
L’automne est là aussi avec l’écoute et les odeurs. C’est comme une promenade en nature par temps de brume, on sent que la nature se prépare, elle communique de façon plus subtile.
L’hiver, à voir plus comme un moment de profondeur que de froid. Nous allons à la rencontre des racines et du mouvement de vie qui se cache. Une promenade en forêt à cette période donne l’impression que la vie coule en profondeur et ne se laisse pas forcément apercevoir facilement.
Je suis également attentif car je ne suis pas seul dans cette danse. Le receveur est aussi responsable de chacune des phases. La danse se fait à deux.
Détaillons un peu.
Printemps
Dans la diagnostic japonais, c’est boshin.
Boshin est ce qui est donné à voir.
Vous accueillez une personne pour un shiatsu (ou pour toute autre pratique si vous ne faites pas de shiatsu. Ça marche aussi), votre regard ne va pas observer mais voir. Voir une attitude générale, voir une posture, une façon de bouger, voir un visage crispé, blême et sentir le regard qui peut être brillant, terne, franc ou fuyant.
Voir et percevoir.
C’est comme aller dans la nature à la fin de l’hiver et sentir le printemps qui est là, déjà. On aperçoit les bourgeons qui se préparent, les oiseaux qui se réveillent. Comme un mouvement qui pousse de la profondeur pour créer un élan. L’élan de percevoir le juste déséquilibre, la tension possible. L’élan d’avoir pris rendez-vous avec l’envie d’aller mieux.
C’est comme, une nuit de pleine lune, se hisser sur la pointe des pieds pour voir loin.
Été
Monshin, c’est le dialogue, pour savoir ce que la personne vient chercher et ce qu’elle est prête à dire. Se montrer, c’est l’été. Le soleil peut briller. L’orage peut gronder aussi.
Monshin, c’est mettre en lumière à travers des mots. Ce dialogue peut parfois sortir de l’anamnèse réglementaire: on peut parler de ce que l’on aime ou pas, les joies ou peines du moment. Tout cela donne de profondes indications sur ce qui ne se montre pas, sur ce qui se joue à l’intérieur. Ici aussi, le receveur s’implique, il est prêt ou pas à parler de la nature profonde de son élan à venir recevoir. Parfois, le receveur parle pendant toute la séance et, dans ce flot verbal, se cache souvent une perle du pourquoi vraiment…
C’est comme une discussion rapide entre deux portes où des choses très importantes peuvent se dire…
Automne
Bunshin, ce qui sera décelé par le nez et l’ouïe. En automne, la nature parle autrement. Il y a des odeurs, des sons feutrés. Bunshin, c’est une balade en nature en automne par temps de brouillard. (Oui, je sais, le brouillard n’est pas reclus à l’automne, c’est pour donner une idée et rester dans le cadre proposé). Certaines odeurs sont plus marquées ou cachées, des sons tenus nous parviennent si on prend le temps d’entendre.
C’est comme écouter à travers une porte et discerner le fond d’une discussion.
Hiver
Setsushin, le toucher. Celui qui nous mène vers la racine du problème qui est caché dans les profondeurs. En hiver, la nature semble éteinte. Pourtant, si l’on est attentif, la vie et son mouvement sont là cachés. Notre attention et notre présence permettent d’en sentir, d’en deviner parfois les lignes sous-jacentes. Le receveur va s’abandonner, se crisper, fuir la pression inconfortable. Tout cela nous informe sur ce qui se joue derrière le rideau.
C’est aller chercher en profondeur avec bienveillance.
Comme la nature est fractale, chacune de ces 4 bases portent en elles les nuances des 3 autres. Rien n’est totalement séparé.
Dans notre pratique du shiatsu, setsushin est celle qui occupe la plus grande place. Nous allons choisir, en fonction des 3 précédentes, les techniques à appliquer.
Nous allons aussi nous adapter et faire varier en fonction de ce que le corps raconte pendant la séance car rien n’est figé, tout est en mouvement.
Pratiquer le shiatsu, c’est s’adapter constamment au dialogue du corps et son mouvement vital.
Tout est dans tout
J’y vois néanmoins une subtilité: dans chacune des étapes, le soin est déjà présent. J’ai pu m’en rendre compte par certains commentaires:
- « Je suis prête à venir juste m’asseoir dans votre salle d’attente. Juste pour être là et déjà sentir la détente. »
- « Au moment où vous m’avez dit bonjour et accueillis, j’ai senti que ça commençait à se détendre »
- « vous avez mis les doigts exactement où j’avais mal. Votre explication m’a permis de comprendre »
Je ne possède aucun don magique. J’ai eu la chance d’avoir de très bons enseignants. En shiatsu, pour la qualité des pratiques transmises. En méditation, pour la qualité de présence acquise.
Pour toute pratique de soin, l’équilibre maîtrise technique et présence au moment et à la personne me semble indispensable. Sans quoi, nous verrions le shiatsu s’amoindrir et ne devenir qu’un enchaînement de gestes techniques.
Dans chacune des 4 étapes diagnostic, le soin est présent. Cela commence par votre qualité de présence.
C’est l’esprit avec lequel nous animons le stage « Setsushin » chez Odo shiatsu…
La clé magistrale restant la pratique.
Donc, pratiquez, pratiquez et pratiquez encore.
Posez-vous des questions, questionnez, remettez en questions et retournez à votre pratique en étant encore plus attentif, curieux et joyeux.
Commentaires récents