Depuis quelques temps, je constate une certaine dichotomie allant parfois jusqu’au clivage concernant la pratique du shiatsu et son terreau. Ces échanges enflamme de vains débats idéologiques mais le questionnement reste un exercice riche d’enseignement.

La racine du shiatsu

 

J’ai découvert le shiatsu en 2000. Je pratiquais alors l’aïkido et la méditation zen. J’ai eu la chance de commencer mes cours directement avec Kawada senseï. Dans ses cours, Kawada senseï nous parlait très régulièrement  de philosophie, il nous racontait des anecdotes personnelles, expliquait des réalités historiques. L’air de rien, il ouvrait des petites fenêtres sur les contextes qui ont permis au shiatsu de prendre racines. Je mets ce mot au pluriel car il n’y a pas La racine du shiatsu, il n’y a pas Le shiatsu.

Tout cela est riche et complexe, je vous renvoie à la lecture du livre “Shiatsu, un art japonais” de Stéphane Cuypers aux éditions du renard blanc.

Ici, je vais prendre de la hauteur et tenter une vision globale, donc parcellaire.

 

Le Japon de la fin du 18ème siècle était convoité par les occidentaux. C’était le moment qui suivait le passage de la tradition à l’air moderne: certains samouraïs s’accrochaient à leur katana, d’autres préféraient le mousquet. Les hollandais et les américains voulaient faire du commerce, les portugais voulaient évangéliser. Il y régnait un esprit double: ouverture vers l’occident et préservation des traditions. Ouverture sur l’occident, les sciences, le développement matériel. Préservation des traditions dans l’équilibre bouddhisme-shintoïsme.

 

Certes, quelque 4 siècles plus tôt,  il y avait déjà eu des échanges avec la Chine. C’est un perpétuel mouvement d’échanges. Le vivier est riche, on trouve également des traces venant du Tibet, à suivre.

Ils gardent aujourd’hui encore cette capacité à digérer et intégrer dans principes occidentaux et de les adjoindre à leur réalité sans perdre leurs racines.

 

Pour se rendre compte de cela, il suffit de se rendre au japon et de constater comment le bouddhisme et le shintoïsme font partie de la vie.

Nous, en Occident, voulons étudier cela comme des concepts théoriques. Ce ne sont pas des concepts, c’est inhérent à la réalité sociétale.

 

Réalités scientifiques 

 

Chez nous, le mouvement des sciences a instauré la notion de preuves scientifiques: tout doit être vérifié, mesuré, visible, cohérent et consistant.

Nous sommes en droit de nous poser la question: est-ce l’unique façon d’envisager les sciences?

Au Asie, la tradition orale est  importante. Il y a bien sûr les écrits mais ceux-ci ne garde que les lignes générales. Il suffit de voir comment encore aujourd’hui les traditions et pratiques empiriques sont transmises de maître à élèves, i shin den shin (c’est un sujet sur lequel nous pourrons revenir car il demande un peu de développement).

 

Il y peu de temps, je lisais le compte-rendu d’une conférence du médecin du Dalaï-lama. L’approche médicale tibétaine peut nous bousculer par son point de vue. Nous retrouvons chez nous cette approche sensiblement commune dans la médecine chinoise, dans l’homéopathie, naturopathie, les huiles essentielles. Dans cette conférence, il définit assez précisément le système nerveux tel qu’il a été découvert au Tibet et que nous retrouvons chez nous. Un intervenant lui pose la question de quand et comment cela a été découvert, s’il y a eu dissection. Les systèmes nerveux et sanguins ont été découverts vers le 8ème siècle, répond-il, sans besoin de dissection. Il précise que l’approche scientifique des tibétains a l’époque pouvait être très différente de notre approche et nos façons de penser et de faire. Les différents systèmes nerveux et sanguins ont pu être déterminés par des chercheurs qui se plongeaient dans des états de méditation très profondes et pouvaient ainsi ressentir et explorer leur physiologie. On ne peut pas dire que cette approche est totalement éthérique ou hérétique si je joue avec les mots: au 8ème siècle, c’est l’Église qui dictait ces canons scientifiques. 

 

Cette réponse et cette approche peuvent poser question, interpeler ou criper, elle invite à se poser la question sur des approches plurielles. Nous pouvons aussi remettre en question la structure dans laquelle nous grandissons: est-ce la seule manière d’envisager les choses?

Oui, et pourtant, elle tourne!

Ce qui est franchement intéressant est que ces découvertes au 8ème siècle sont incroyablement précises par rapport à nos connaissances actuelles.

Bref, nous devons accepter qu’il peut coexister différentes manières de penser et d’envisager la vie(qu’elle soit scientifique, philosophie, économique, etc.), que d’autres approches ne sont pas à rejeter. Faisons preuve d’un minimum de souplesse mentale.

 

Notre pratique du shiatsu

 

Pour enrichir notre pratique et ne pas la réduire à une simple répétition mécanique, il est instructif de se plonger dans les textes qui font le terreau de la culture qui a donné naissance au shiatsu. 

Ne pas vouloir comprendre cela serait comme manger une fraise hydroponique et être convaincu de goûter pleinement le fruit.

Les textes qui structurent le mieux cela sont effectivement dans le bouddhisme. Pas vu comme un mouvement religieux mais comme une science empirique qui a exploré la psyché humaine. Cela permet aussi de nous questionner sur notre place de thérapeute et notre réalité humaine. La lecture et la réflexion sur des concepts tels que l’impermanence, la souffrance, la conscience parmi d’autres permet d’éclairer notre pratique pour comprendre ce qui peut exister derrière la technique. La volonté d’améliorer ses gestes, d’aller plus loin dans la technique sera enrichie par ces lectures qui développeront l’art de la nuance et les compréhensions de ce qui se joue derrière les symptômes. La technique n’est rien sans la théorie et inversement.,

 Pratique et réflexion s’équilibrent pour une juste compréhension des choses.

 

Bonne pratique! Bonnes lectures!

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