Aujourd’hui, j’ai envie d’explorer la réalité ou l’idée de la réalité avec vous, tant dans notre vie quotidienne, que dans une pratique thérapeutique lorsque nous rencontrons nos patients/clients.

 

Pour vous, qu’est-ce que la réalité?

Mythe de la caverne

Dans une caverne, des hommes sont enchaînés. Ils n’ont jamais vu directement la source de la lumière du jour,  ils n’en connaissent même que le faible rayonnement qui parvient à pénétrer jusqu’à eux. Leur réalité se résume à des ombres projetées sur les murs de leur caverne par un feu allumé derrière eux. Des sons, ils ne connaissent que les échos. Pourtant, ils nous ressemblent.

Quand l’un d’entre eux est libéré de ses chaînes et accompagné vers la sortie, il se débattra sans doute, voulant rester dans le lieu qui le rassure puis, en sortant, sera d’abord cruellement ébloui par une lumière qu’il n’a pas l’habitude de supporter. Il souffrira de tous les changements. Il résistera et ne parviendra pas à percevoir ce que l’on veut lui montrer. Alors, ne voudra-t-il pas revenir à sa situation antérieure ? S’il persiste, il s’accoutumera. Il pourra voir « le monde supérieur ». Prenant conscience de sa condition antérieure, ce n’est qu’en se faisant violence qu’il retournera auprès de ses semblables. Mais ceux-ci, incapables d’imaginer ce qui lui est arrivé, refuseront de le croire.

Cette allégorie nous vient de Platon. Pour Lui, derrière l’apparence sensible, fugace et changeante existe le monde des idées. Le monde physique devient alors une représentation des idées humaines, une sorte d’écran qui matérialise nos projections mentales. Notre caverne représente nos croyances, nos éducations, le monde dans lequel nous nous enfermons. Osez se tourner vers la réalité des choses va alors créer des réactions plus ou moins fortes dont la volonté de retourner dans le confort enfermant du connu.

 

Pour Kant, la réalité n’est rien d’autre que ce qui apparaît (et ceci est bien différent de la vérité).

Si l’on va encore plus loin avec Karl Popper (philosophe autrichien), le réel est découpé en 3 couches: 1. Celle des objets physiques, 2. Celle des ressentis et des vécus, 3. Celle des idées.

 

Max Planck dit: « la question de savoir ce qu’est une table en réalité ne présente aucun sens. Il en va de même ainsi de toutes les notions physiques. L’ensemble du monde qui nous entoure ne constitue rien d’autre que la totalité des expériences que nous en avons. Sans elles, le monde extérieur n’a aucune signification. Toute question se rapportant au monde extérieur qui ne se fonde pas en quelque manière sur une expérience, une observation, est déclarée absurde et rejetée comme telle ». Par conséquent, la couleur rouge est la réalité pour le voyant et n’est pas la réalité pour l’aveugle. La notion de réalité dépendant des expériences vécues est donc nécessairement variable en fonction des individus et de leur structure sociale. La table n’existe que parce qu’il a, un jour, été décidé que 4 pieds et un plateau était une table. La table est totalement définie par l’objet, son nom et l’usage que l’on en fait, elle n’existe pas par elle-même.

 

Et qu’en penser de la réalité virtuelle?

Voyageons en Indes

 

Un jour de grand soleil, six aveugles instruits et curieux, désiraient, pour la première fois, rencontrer un éléphant afin de compléter leur savoir…

Le premier s’approcha de l’éléphant. Et, alors qu’il glissait contre son flanc vaste et robuste, il s’exclama : « Dieu me bénisse, un éléphant est comme un mur ! ».

Le deuxième, tâtant une défense s’écria « Oh ! Oh ! Rond, lisse et pointu ! Selon moi, cet éléphant Ressemble à une lance ! »

Le troisième se dirigea vers l’animal, pris la trompe ondulante dans ses mains et dit : « Pour moi, l’éléphant est comme un serpent ».

Le quatrième tendit une main impatiente, palpa le genou et fut convaincu qu’un éléphant ressemblait à un arbre !

Le cinquième s’étant saisi par hasard de l’oreille, dit : « Même pour le plus aveugle des aveugles, cette merveille d’éléphant est semblable à un éventail ! »

Le sixième chercha à tâtons l’animal et, s’emparant de la queue qui balayait l’air, perçut quelque chose de familier : « Je vois, dit-il, l’éléphant est comme une corde ! »

 

Alors, les 6 aveugles discutèrent longtemps et passionnément, tombant chacun dans un excès ou un autre, insistant sur ce qu’ils croyaient exact.

Ils semblaient ne pas s’entendre, lorsqu’un sage, qui passait par-là, les entendit argumenter.

« Qu’est-ce qui vous agite tant ? » dit-il.

« Nous ne pouvons pas nous mettre d’accord pour dire à quoi ressemble l’éléphant ! »

Et chacun d’eux lui dit ce qu’il pensait à ce sujet.

Le sage, avec son petit sourire, leur expliqua :

« Vous avez tous dit vrai ! Si chacun de vous décrit l’éléphant si différemment, c’est parce que chacun a touché une partie de l’animal très différente !

L’éléphant à réellement les traits que vous avez tous décrits. »

« Oooooooh ! » exclama chacun.

Et la discussion s’arrêta net !

Et ils furent tous heureux d’avoir dit la réalité,

Car chacun détenait une part de vérité.

 

(Conte d’Indes).

 Que dis le bouddhisme?

 Le bouddhisme envisage 2 réalités différentes: la réalité relative et la réalité absolue. La réalité absolue est la vraie nature des phénomènes, cette nature ultime de la réalité est l’absence de soi ou d’égo (anatman), c’est ce qui est appelé « vacuité », car rien n’existe en soi, c’est le principe d’interdépendance.

Chaque école met l’accent sur certains aspects: interdépendance des phénomène, non-dualité, sur la conscience, la nature de Bouddha, etc.

Sutra du coeur

Le Noble Bodhisattva Avalokiteśvara se mouvait dans le cours profond de la Perfection de Connaissance Transcendante ; il regarda attentivement et vit que les 5 agrégats d’existence n’étaient que vides dans leur nature propre.

Ici Sariputra, forme est vacuité et vacuité est forme ; forme n’est autre que vacuité, vacuité n’est autre que forme ; là où il y a forme, il y a vacuité, là où il y a vacuité, il y a forme ; ainsi en est-il des sensations, des notions, des facteurs d’existence et de la connaissance discriminante.

Ici Śāriputra, tous les phénomènes conditionnés et inconditionnés(dharma) ont pour caractéristique la vacuité ; ils sont sans naissance, sans annihilation, sans souillures et sans pureté, sans déficience et sans plénitude.

En conséquence, Śāriputra, dans la vacuité, il n’y a ni forme, ni sensation, ni notion, ni facteur d’existence ni connaissance discriminante ; ni œil, ni oreille, ni nez, ni langue, ni corps, ni mental ; ni formes, ni sons, ni odeurs, ni goûts, ni objets tangibles, ni objets mentaux ; ni élément de la vue jusqu’à ni élément de la connaissance mentale ; ni absence de Vue, ni cessation de l’absence de Vue jusqu’à ni déclin et mort, ni cessation du déclin et mort ; ni souffrance, ni origine, ni extinction, ni Sentier ; ni connaissance, ni obtention, ni absence d’obtention.

En conséquence, Śāriputra, le Bodhisattva, par sa qualité de « sans obtention », prenant appui sur la Perfection de Connaissance Transcendante, demeure dans la psyché libre d’obstruction. N’ayant pas d’obstructions de la psyché, il est sans crainte, il a surmonté les méprises vers l’Éveil.

Tous les Éveillés (Buddha) qui se tiennent dans les trois périodes de temps, prenant appui sur la Perfection de Connaissance Transcendante, se sont pleinement éveillés du parfait et complet Éveil.

C’est pourquoi on doit connaître la Perfection de Connaissance Transcendante comme le grand mantra, le mantra de grande Vue, le mantra ultime, le mantra sans égal, celui qui soulage de toute douleur, essentiel, sans erreur. Par la Perfection de Connaissance Transcendante ce mantra a été proclamé ainsi :

« Allée, allée, allée au-delà, allée complètement au-delà, l’Éveil (Bodhi) soit réalisé (svāhā)! ».

 

 

 

 

 

Les 5 agrégats:

 

    1. La forme, Rūpa (la forme, la corporéité)
    2. Les sensations, vedanā
    3. Les perceptions, samjñā (conscience et conscience individuelle)
    4. Les formations volitionnelles, relatives à la volonté, samskāra (impressions suite à une action, tendances résiduelles et aussi tous les rituels. La volition est l’aboutissement d’un processus par lequel quelqu’un use de sa volonté, c’est l’acte par lequel quelqu’un agit en vue d’un résultat).
    5. La conscience, vijñāna, qui est à la base d’une croyance en la dualité sujet/objet (savoir, discernement, connaissance discriminante)
Revenons à nous et nos ressentis. Chaque informations reçue via nos organes des sens est décryptée et analysée par notre cerveau qui nous en construit une réalité. Sa réalité teintée de nos vécus devenant notre réalité.

Pour faire bref, chacun vivra une réalité qui est la réalité filtrée par ses filtres intérieurs: son vécu et ses expériences.

 

Reprenant la notion de fugacité, chacun de nous aura une réalité changeante tout au long de sa vie, celle-ci elle-même non-figée. Notre réalité évolue sans cesse. Elle n’est pas là même aujourd’hui puisque des évènements, des informations ne cessent de me venir.

Et dans la pratique du shiatsu?

 

Le shiatsu, et toute pratique thérapeutique, a ses techniques pour appréhender et comprendre le déséquilibre que la patient manifeste. Mais, en tant que thérapeute, nous restons bien extérieur à la personne. Nous pouvons l’aborder de bien des angles différents, nous resterons toujours extérieur et n’auront accès qu’à l’apparence des choses, ce qui nous apparaît. La réalité de la personne, nous ne l’appréhendons que dans ce que nous pouvons imaginer d’elle. Pour connaître et comprendre le problème, seul le centre, l’intérieur de la personne, la connaissance de tous les facteurs qui ont mené à cet état est la réalité.

Il y a bien sûr les différentes méthodes diagnostiques: monshin, l’entretient verbal, l’anamnèse, bôshin, l’observation visuelle (posture, teint, etc), bunshin, l’écoute de tous les sons (la voix, les bruits organiques, la respiration, etc) et setsushin, le toucher du corps car le corps dit parfois autre chose et bien plus que la personne. Avant ce mot « Setsushin », le mot « sesshin » était utilisé. Il signifie « recueillir l’esprit », c’est-à-dire ressentir ici et maintenant la résonance profonde et l’expression du déséquilibre qui est une volonté de l’âme de trouver son équilibre à travers le corps.

 

La réalité que nous choyons et croyons comprendre, pour nous praticien, est bien réduite: nous accueillons une personne qui renferme sa réalité. Nous ne pouvons alors en apercevoir qu’une petite facette. Nous agirons au mieux avec les informations collectées et notre shiatsu sera comme un cadeau que la personne reçoit. Elle le prend, remercie, reprend sa route et choisit de l’ouvrir quand elle le souhaite, de retour dans sa réalité.

 

Notre responsabilité n’est alors pas seulement technique: connaître les bons gestes qui délient le corps. Elle est aussi spirituelle, dans le sens que nous prenons soin de l’esprit, l’âme de la personne. En prenant soin du corps, nous aidons l’âme à être plus transparente et présente. Ce n’est en rien un aspect religieux. C’est se rendre compte que nous ne touchons pas un bras, une jambe, une nuque. A travers ces parties du corps, nous touchons à chaque fois la personne dans son entièreté, dans son être, avec le respect nécessaire d’accueillir chacun et chacune comme il/elle est et où elle/il en est sur son chemin de vie et de conscience de son être intérieur et de son corps.

 

Bonne pratique!